Le 3 février 2025, nous avons eu la chance de visiter la pisciculture bio de l’Isle, d’où proviennent les délicieux filets de truite (nature ou fumés) vendus aux P’tits Pois.

Les filets emballés, prêts à la vente

Visite passionnante, sous la conduite savante de:

  • Michèle André et Roland Clivaz, les propriétaires
  • Damien Isnard, responsable de l’écloserie et de l’alevinage (les bébés, quoi…)
  • Thibault Rossignol, responsable de la production et du grossissement (les poissons qui grandissent)
  • Alena Hudakova et Alexandre Valero, employés à l’atelier de transformation (les poissons… désormais nourriture).

Notre visite a suivi l’ordre naturel des choses, des œufs frais pondus aux sachets prêts à la vente. Nous vous invitons à la suivre vous aussi…

1. Visite de la cave : les œufs et les larves (alevins)

L’installation de la cave date de 1964–65, à la création de l’exploitation.

La cave où se passe l’alevinage

Damien nous explique ici son travail en vidéo.

Explication des « 320 degrés jours » mentionnés dans la vidéo : si l’eau est à une température de 8°, les œufs incuberont pendant 320/8 = 40 jours. Si l’eau a 5°, ce seront 320/5 = 64 jours…

Puis, Damien nous montre une larve juste éclose et nous l’explique, en vidéo et en photo.

<— Un alevin et son sac vitellin (le sac jaune sous le ventre)

Les alevins évitent absolument la lumière. En effet, la lumière apporte des bactéries. C’est pourquoi on les garde à la cave, dans le noir, sous des plaques qui recouvrent chaque bac. Dans la nature, ils se cachent sous des pierres, par exemple.

2. À l’extérieur : le nourrissage et le tri des truites

Roland explique:
«L’eau vient directement de la Venoge, par l’ancien canal de dérivation du moulin qui était là autrefois. La Venoge est alimentée par sa source, à 400 m environ de notre domaine, mais aussi par passablement de petites résurgences, dont une qui nous sauve en période de sécheresse, où elle est la seule à encore donner de l’eau !
L’eau passe de bassin en bassin par un jeu de tuyaux et de vannes, puis retourne à la Venoge à la sortie du domaine.»

Nous voici autour des bassins où les truites grandissent. Toutes celles d’un bassin ont le même âge, donc la même taille. Sachant combien il y en a et connaissant leur poids, on peut ainsi calculer le poids total présent. Et au fur et à mesure que les truites grandissent, on en déplace dans un bassin vide afin d’éviter la surpopulation. Car ici on respecte une densité maximum de poissons, autour de 15 kg (de « chair vivante ») par m3. À noter que les élevages non bio vont jusqu’à 40 kg/m3, en injectant de l’oxygène liquide dans l’eau pour éviter l’asphyxie des truites.

Ces truitelles ont environ 6 mois

Nourrissage et tri manuel des poissons (à l’aide du trieur qu’on voit sur la 2e photo) font l’objet de cette vidéo.

Et sur cette vidéo-là, Thibault nous parle des soins aux poissons, de la surveillance des bassins, nuit et jour, de la dureté de ce travail.

Les exploitations traditionnelles achètent les œufs, et ne veulent que des femelles car les mâles posent des problèmes – que Roland explique dans cette vidéo -. Ici, il y a des mâles comme des femelles, puisque l’exploitation produit ses propres œufs. La vidéo vous apprend comment les distinguer !

Danger de maladies !
– Pourquoi nous avez-vous désinfecté le dessous des souliers avant de nous laisser entrer dans l’exploitation ?
– Ca sert à protéger notre site des maladies : on ne sait pas où les visiteurs sont passés ; par exemple si vous avez visité une autre pisciculture, où sévit une certaine pathologie, vous risquez de transmettre le pathogène.
Ce sont surtout les très jeunes poissons qui sont sensibles aux maladies, aux bactéries qui peuvent par exemple provenir de la rivière. On doit alors traiter (avec des produits agréés par Bio Suisse) le plus rapidement possible. Heureusement, Michèle a un don, elle repère immédiatement quand les truitelles d’un bac ne vont pas bien. En traitant tout de suite, on limite la casse à une dizaine de poissons qui meurent par jour. Si on ne réagit pas aussi vite, ça peut monter jusqu’à 250 poissons morts chaque jour !

Roland explique:
« Le frai n’a lieu qu’en hiver. Heureusement les truites reproductrices ne sont pas toute prêtes en même temps, ce qui nous permet d’étaler un peu la production dans le temps.
Les élevages non bio « trompent » les truites en jouant sur la lumière, leur faisant croire au printemps que les jours raccourcissent… Ils obtiennent ainsi des œufs d’été ! »

3. L’abattage

La seule méthode d’abattage autorisée en Suisse est celle-ci : on place les poissons dans ce caisson fermé rempli d’eau ; on appuie sur un bouton, qui les étourdit immédiatement par un choc électrique. « On les met dedans… Poum !» Cette méthode permet une qualité de chair et un bien-être animal optimum.

4. Au laboratoire: la préparation des filets

Michèle répond à nos questions:
Pourquoi les filets fumés sont-ils nettement plus cher que les autres ?
– Faire des filets fumés demande plus de travail. Prenons par exemple les filets qu’on est en train de tailler : déjà, on sépare le côté gauche du côté droit ; demain on les mettra en saumure ; le surlendemain ils seront fumés ; et le jour suivant a lieu la préparation finale : ils sont égouttés, on les étale tous sur une grande table en séparant toujours le côté droit et le côté gauche, on les essuie et on les remet ensemble. Ils sont alors stockés sur des grilles, jusqu’au surlendemain où ils seront fumés.
Après le fumage on les met sous vide : c’est enlever une peau, ouvrir, changer le petit papier qu’on met au milieu… C’est tout ça qui est en plus que pour les filets frais.
– Pourquoi séparer le côté gauche du côté droit ?
– Parce qu’après on reconstitue la truite : dans le paquet les deux sont joliment mis, normalement, l’un sur l’autre, et ce sont donc les deux moitiés de la même truite. On fait comme un puzzle, car c’est bien d’avoir les mêmes filets qui se retrouvent !

Michèle nous explique dans cette vidéo comment se préparent les filets… pendant qu’Alexandre montre l’exemple. Et sur les photos ci-dessous, ce sont Alena et Damien qu’on voit occupés à la même besogne.

Une fois les filets «parfaitement propres» comme dit Michèle, il reste quelques opérations pour aboutir aux sachets que nous trouvons en vente à l’épicerie. Cette vidéo les explique.

À côté des commandes de détail – dont on vient de voir la préparation -, il y a les commandes en gros, pour des restaurateurs. On voit ici Thibault préparer un cageot de filets pour un tel client.

Interview de Michèle André

De quand date l’exploitation ?

Mes parents ont créé la pisciculture en 1964. Mon papa était passionné de pêche ; un jour, en se promenant avec ma maman, ils ont vu ce moulin complètement délabré. Il se trouvait que ce moulin était éventuellement à vendre ; le propriétaire, qui était un banquier, a beaucoup aimé mon papa, il était très passionné – il voyait ce cours d’eau, imaginait la possibilité de faire un petit bassin… – et il leur a fait un super-prix, car ils n’avaient pas un rond, ce qui leur a permis d’acheter. Mais il faut se dire que c’était vraiment une ruine, et quand tout le monde au village a su que des jeunes avaient acheté ce moulin, ils ont tous dit « aïaut aïaut »

Quels sont, pour toi, les plus beaux côtés de ton métier ?

Hmm… Je dirais, l’idée de toujours faire mieux : je suis très perfectionniste et je trouve que je me valorise à travers ça, l’idée de pouvoir toujours offrir le meilleur. D’ailleurs je casse les pieds [des autres] avec ça, parce que ce n’est jamais assez bien, mais ça j’aime, car j’ai l’impression qu’on peut toujours faire mieux… Après, c’est un métier que j’aime parce qu’on est beaucoup dans la nature, dépendants de la nature, alors on apprécie les saisons : l’hiver on a très froid, au printemps on sent le renouveau, et ça, avec l’eau et la nature je le ressens très fort.

…Et les pires côtés ?

Eh bien… C’est aussi la nature : quand il fait froid, et puis des soucis, quand i n’y a pas d’eau l’été c’est très dur… On n’a pas d’assurance, donc on travaille « sans filet », s’il y a des catastrophes naturelles c’est nous qui devons assumer, ça c’est assez difficile.

Comment devient-on pisciculteur ?

En Suisse il n’y a pas d’école. Les jeunes vont notamment en France, à Poisy près d’Annecy. Il y a plusieurs niveaux d’études : 3 ans pour le bac pro, 5 pour le BTS (brevet de technicien supérieur). On peut encore se perfectionner, jusqu’au Master aquacole. En Suisse n’existe qu’une formation de 8 jours, exigée pour avoir le droit d’élever du poisson et de le vendre. C’est court… et c’est cher !

Textes, photos et vidéos: Denise Lachat et Philippe Beck